Le Grand Inga n’est–il qu’une grande illusion?

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Des plans grandioses sont en cours de conception pour développer le plus grand projet d’énergie hydraulique dans l’une des régions d’Afrique les plus corrompues et politiquement instables. En Février, Reuel Khoza, le Président de la compagnie d’électricité sud africaine Eskom, a annoncé des plans de développement de grande envergure du projet d’énergie hydraulique du Grand Inga, dans la République Démocratique du Congo (RDC).

“L’Afrique a un besoin urgent d’énergie pour sortir son peuple de la pauvreté et fournir un développement durable. La rivière Congo offre d’énormes opportunités en ce sens,” déclarait Khoza. En sous–entendant que le projet créerait un effet de boule de neige pour résorber la pauvreté en Afrique, il ajouta que: “l’électricité hydraulique du Congo pourrait générer plus de 40 000 mégawatts, bien assez pour soutenir l’industrialisation de l’Afrique, avec des possibilités de vendre l’excédent à l’Europe du Sud.”

Conçu en série de turbines de 52 750 MW au dessus des rapides Inga sur la rivière Congo, la capacité du Grand Inga serait deux fois celle du gigantesque barrage “Three Gorges” en Chine. Les plans de financements pour le Grand Inga sont juste en cours de montage. Avec sa facture de $50 milliard et, ce qui est plus, sa situation dans un pays, la RDC, qui a été placé parmi les 15 pays les plus corrompus du monde au dernier classement de Transparency International, il y a fort à parier que le projet ne bénéficie en premier lieu q’aux élites locales et aux multinationales avant de pourvoir aux besoins en énergie ainsi qu’au développement de la majorité pauvre de l’Afrique.

Le méga projet Inga (qui compris le projet Inga 3, décrit ci–dessous) est l’une des premières priorités du Partenariat NEPAD (Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique), SADC (Communauté Sud–Africaine de Développement) et Eskom, la plus grosse compagnie africaine d’énergie. En dépit de son caractère prioritaire et de son importance , peu de choses ont été révélées à propos du projet. Aussi aucun engagement n’a été pris par les acteurs dominants de la société civile. Il y a des inquiétudes sur le fait que des négociations à huis–clos ne soient liées à des concessions faites sur des exploitations minières et le commerce illegale en bois dans la RDC et ailleurs. Des coopérations plus poussées comme les zones d’export spéciales et les accords de libre marché pourraient être envisagées pour attirer les industries et ceci aux dépens des commerces locaux et des contribuables. Alors que certaines activités seraient de l’expansion industrielle, d’autres industries pourraient juste délocaliser leur production courante à partir de certains pays en développement en direction de l’Afrique du sud pour profiter de coûts de production plus bas.

Bien que Eskom continue d’insister sur la pénurie d’énergie qu’il y aura en Afrique du Sud dans les 3 prochaines années si aucune autre source d’énergie n’est trouvée, ce n’est quand même pas une bonne raison pour construire le Grand Inga. Le Grand Inga ne serait pas rentable avant une bonne dizaine d’années au plus tôt pendant qu’il excéderait largement les besoins locaux d’énergie prévus. Sa viabilité dépendrait d’une augmentation massive des industries à énergie intensive, ou de l’exportation de son électricité aussi loin qu’en Europe – et même dans ces cas il n’est pas sur que le projet ne soit viable économiquement.

Les Barrages Inga déjà existants

En plus du colossal Grand Inga, la réhabilitation de 2 centrales existantes Inga I et Inga II, estimée a $550 million, est prévue. Inga I (351 MW) a été mis en service en 1972 et Inga II (1424 MW) en 1982. Selon le Département américain d’information sur l’energie et d’autres sources, une mauvaise entretien pendant la guerre civile a laissé les deux barrages dans un état vaseux. Ils n’opérènt qu’à 30% de leur capacité. Bien que les 2 barrages appartiennent à et soient présentement gérées par la compagnie d’état SNEL (Société Nationale d’Electricité) il y a de rumeurs de privatisation dans la phase de réhabilitation.

En 2003, l’allemand Siemens a signé un contrat avec la Banque Mondiale pour la réhabilitation d’Inga I et II. Du coup il a ouvert une antenne à Kinshasa mais aucune autre information n’a été révélée pour l’instant. Un accord complet de réhabilitation se négocie entre plusieurs compagnies, y compris Eskom, les compagnies canadiennes MagAlloy et SNC–Lavalin et l’Aluminium Russe (Rusal). Il est déjà prévu que des accords d’achat d’énergie soient lies à la réhabilitation; MagAlloy a déjà négocié l’achat de 120 MW de Inga II pour son projet de magnésium dans la République du Congo (RoC). Rusal envisage aussi la construction d’une fonderie d’Aluminium en République du Congo, et celle–ci deviendrait un autre grand consommateur de l’électricité générée par Inga. Il y a déjà une exportation d’électricité de Inga I et II vers la RoC, la Zambie, le Zimbabwe et l’Afrique du Sud.

Sur le chemin de Grand Inga

La première phase de développement sera le barrage Inga 3 (3500 MW) considéré comme une pierre angulaire du Grand Inga. Cette phase est estimée à $5.23 millard tout en incluant ses 3000 kms de lignes de transmissions. En Octobre 2004, les gouvernements et compagnies d’eaux et électricité de 5 pays africains –l’Afrique du Sud, l’Angola, la RDC, la Namibie et le Botswana– ont signé des accords pour le Westcor (Western Power Corridor) qui est maintenant un consortium enregistré au Botswana. Sous un accord de Construction, Propriétariat et Operation Westcor développera et gérera la production et la transmission d’électricité du barrage Inga 3. L’objectif à long terme de Westcor est de développer le Grand Inga ainsi que d’autres barrages électriques proposés en Angola et Namibie. Chacune des cinq compagnies du Consortium a une part égale (une action pareille) dans le business et a contribué à hauteur de $100 000 pour financer des études de faisabilité pour les projets Inga et les lignes de transmissions. Westcor essaie aussi de collecter davantage de fonds à travers de la Banque mondiale, d’autres banques de développement ainsi que de sources privées. La Banque mondiale a déjà fait plusieurs prêts pour financer la réhabilitation des lignes de transmissions et des extensions à partir des sites Inga vers diverses destinations sud– africaines.

Le Trésor Public des Etats–Unis pense à financer un programme d’assistance technique pour Inga 3, en fournissant un conseiller qui ferait partie du personnel diplomatique en RDC. Selon African Intelligence Online, l’intérêt du Trésor Public américain découle des opportunités existantes pour les corporations américaines.

Aux dépens de qui?

En proclamant que le Grand Inga allumera l’Afrique, Eskom et NEPAD vendent l’idée que le Grand Inga sera le fondement de l’industrialisation Africaine, étant par la même occasion un élément clé de la réduction de la pauvreté. Mais il est fort probable que son développement fournira une croissance économique et industrielle seulement pour les compagnies étrangères recherchant de l’électricité bon marché et des opportunités financières pour l’élite commerciale et les dirigeants gouvernementaux africains, offrant un faible effet d’entraînement sur l’économie.

Le réseau électrique centralisé aidera probablement peu à “allumera” les 90% de gens qui vivent présentement sans électricité, pour la plupart dans des régions rurales inaccessibles au réseau électrique. L’expansion de réseaux électriques est assez chère et essayer d’atteindre des communautés rurales dispersées augmenterait les coûts du projet, aussi bien que les coûts de l’électricité, de manière importante. De longues lignes de transmissions et distribution augmentent aussi les pertes d’électricité (les vieux systèmes peuvent perdre jusqu’à 30% d’électricité dues aux pertes de transmission et distribution) Sur la base des tendances historiques, il est probable que l’effet d’entraînement sur l’emploi et les impôts sera minime pour les africains les plus pauvres, pendant que le poids insoutenable des dettes nationales augmentera. Les impacts directs possibles sur les populations locales qui seraient affectées ne sont pour l’instant pas connu, mais cela reste tout de même une inquiétude.

Le mythe de l’énergie verte

“Le Grand Inga est un projet qui nous excite beaucoup parce qu’on pense qu’en un coup de baguette magique on pourrait régler le plus gros des besoins de l’Afrique et ceci d’une manière propre et écologique, en fabriquant une énergie hydroélectrique laissant libre cours au flot de la rivière à l’opposé d’un barrage qui la bloquerait,” aux dires de Khoza d’Eskom.

Alors que de plus en plus d’études sur les émissions de gaz à effet de serre provenant de l’énergie hydraulique sont conduites, les scientifiques trouvent de plus en plus de preuves que les émissions des barrages, spécialement le méthane, constituent un sujet d’inquiétude légitime, particulièrement dans les régions tropicales. Les projets Inga auront aussi besoin d’études indépendantes sur l’impact de leurs émissions.

Les supporteurs du projet ont indiqué leur espoir de trouver une source de revenus pour Inga 3 au travers du CDM (Clean Development Mechanism ou Mécanisme de développement propre), un programme qui subventionne les projets en carbone bas dans les pays en développement pour minimiser les émissions des gaz provenant de l’effet de serre. Les gros projets hydrauliques menacent l’efficacité et la crédibilité du programme CDM et risquent de décrédibiliser le protocole de Kyoto en donnant des crédits de réduction de carbone pour des projets qui en fait ne réduisent pas les émissions ou seraient de toutes façons construits, avec ou sans les crédits du programme. Des projets comme Inga 3 font du programme CDM un mécanisme de subvention pour les développeurs d’énergie hydraulique et une échappatoire de comptabilité du Carbone pour les pays industrialisés, au lieu d’un outil de protection du climat.

Les crédits du programme CDM pour Inga 3 constitueraient un double coup de massue porté à l’énergie renouvelable en Afrique. Premièrement, les projets d’investissement attirés par les crédits du CDM détourneraient les investissements potentiels des énergies renouvelables telles que les énergies éolienne, solaire et géothermie au profit de l’hydroélectricité. Deuxièmement, les revenus générés par les crédits du CDM auraient pour cause de détourner les investissements CDM additionnels des vrais projets durables, en aspirant les fonds pour les nouvelles énergies renouvelables en Afrique.

Le développement de Inga augmentera d’une manière significative la vulnérabilité aux changements climatiques et à l’instabilité politique. Le changement climatique apportera des risques aux économies dépendantes de l’énergie hydraulique, du fait d’une augmentation de la sévérité et de la fréquence des sécheresses et des inondations. Des sécheresses plus graves diminueraient la production d’électricité hydraulique, pendant que des inondations plus nombreuses mettraient en danger la sécurité des barrages et pourraient aussi augmenter la sédimentation, écourtant du coup la durée de vie des barrages. Le changement climatique ajouterait aux autres stress environnementaux que les écosystèmes riverains et les cours d’eau subissent. Les études de faisabilité économique et d’impact écologique ainsi que les plans de génie civil de Inga devraient prendre en compte les incertitudes hydrologiques d’une terre qui se réchauffe.

L’instabilité politique est vraiment inquiétante dans la région où le réseau de transmission serait construit. La violence perpétuelle en RDC a récemment été classée par Reuters comme l’une des crises les plus oubliées par l’opinion publique. Plus de trois millions de personnes ont été tuées depuis 1998 à cause de la guerre civile et du conflit latent en RDC. Le méga projet Inga centraliserait la plus importante des sources d’électricité d’Afrique et exigerait un réseau de lignes de transmissions à travers plusieurs des régions les plus instables d’Afrique. Les barrages, usines et lignes de transmission sont souvent des cibles privilégiées dans les conflits politiques. La dépendance de plusieurs pays sur Inga augmenterait l’intérêt des groupes rebelles pour en faire une cible de sabotage. Il y a de cela moins de dix ans (1998), les rebelles prenaient le contrôle de Inga II et coupaient le courant de Kinshasa, la capitale de la RDC.

Faits rapides du Mega–Projet Inga

  • Situé à 150Km en amont de l’embouchure de la rivière Congo, et 225 Km en aval de Kinshasa, RDC
  • Inga I et Inga II sont situés dans la vallée de Nkokolo; Inga 3 sera aussi situé ici.
  • Le Grand Inga serait construit tout le long de la rivière Congo et détournerait son flot dans la vallée du Bundi.
  Année de Mise en service Fréquence de la capacité générée Coût du projet en cours
Inga I 1972 351 MW $550 million
(rréhabilitation)
Inga II 1982 1,424 MW  
Inga III 2012 3,500 MW $5 billion
Grand Inga Inconnu 39,000 MW $55 Billion